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Éditions Faton - Expositions - John Singer Sargent, un Américain à Paris au cœur de la Belle Époque au musée d’Orsay

John Singer Sargent, un Américain à Paris au cœur de la Belle Époque au musée d’Orsay

À l’occasion du centenaire de la mort du peintre et en partenariat avec le Metropolitan Museum of Art de New York, le musée d’Orsay rend hommage à John Singer Sargent (1856-1925) en se focalisant sur ses années parisiennes, fondatrices et décisives pour la suite de sa carrière.
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John Singer Sargent Portraits d’enfants
John Singer Sargent (1856-1925), Portraits d’enfants, dit aussi Les Filles d’Edward Darley Boit (détail), 1882. Huile sur toile, 221,9 x 222,6 cm. Boston Museum of Fine Arts.

Presque vingt ans après l’exposition que le Petit Palais avait accueillie en 2007, qui l’associait alors à l’Espagnol Joaquín Sorolla, Paris retrouve les toiles du virtuose John Singer Sargent. Méconnu en France, à la différence de l’Angleterre et des États-Unis qui l’ont toujours célébré, Sargent se révèle en effet un artiste particulièrement habile, au talent précoce. Les quelques dessins qui subsistent de sa jeunesse – une académie d’homme et une copie d’après l’antique – justifient bien l’étonnement admiratif de Carolus-Duran, lorsqu’il lui ouvrit les portes de son atelier un jour de mai 1874.

John Singer Sargent Autoportrait
John Singer Sargent (1856-1925), Autoportrait, 1886. Huile sur toile, 34,5 x 29,7 cm. Aberdeen City Council (Aberdeen Archives, Gallery & Museums).

Le meilleur élève de Carolus-Duran

Né dix-huit ans plus tôt à Florence, fils de parents américains que l’on qualifierait aujourd’hui de bourgeois bohèmes (sa mère persuada son père d’interrompre sa carrière de chirurgien à Philadelphie pour se lancer dans un voyage en Europe, qui n’allait pas connaître de retour), Sargent pratique déjà depuis plusieurs années le dessin et l’aquarelle au gré des pérégrinations familiales. Il arrive donc dans la capitale française avec une maîtrise certaine et non sans avoir, d’ailleurs, préalablement reçu quelques cours à Dresde puis à Florence, si insatisfaisants furent-ils jugés. L’enseignement de Carolus-Duran, alors très renommé pour ses portraits, allait s’avérer pour lui autrement fécond. Sous sa férule, il acquiert la facture alla prima, dessinant directement sur la toile avec le pinceau chargé de couleur, dans un geste fluide et enlevé. En parallèle de cet apprentissage, Sargent suit le cursus de l’École des beaux-arts dans la classe d’Adolphe Yvon, où il se distingue également, comme avec ce fusain représentant un piédestal de la Renaissance (1877) qui lui vaut la plus haute récompense décernée cette année-là.

John Singer Sargent Ombre et lumière
John Singer Sargent (1856-1925), Ombre et lumière, vers 1874-1877. Fusain sur papier, 33 x 22,3 cm. The Ömer Koç Collection.

Un peintre voyageur

Comme bon nombre de ses condisciples, le jeune homme admire les maîtres anciens et s’avère très doué pour copier les tableaux de Frans Hals ou de Diego Velázquez, son grand modèle, qu’il voit à Haarlem ou à Madrid. Marqué par son enfance nomade et polyglotte (il parle quatre langues), Sargent ne tarde pas en effet à repartir sur les routes, en France, où il multiplie les excursions – Nice, Cancale, Grez-sur-Loing, Aix-les-Bains… –, comme à l’étranger, puisant dans le bassin méditerranéen ses principaux motifs de peintre voyageur. C’est ainsi d’abord dans la veine exotique, ou plus généralement pittoresque, que l’artiste se signale. En route pour la pêche, qui reprend le sujet à la mode des pêcheurs de coquillages bretons, constitue son envoi au Salon de 1878, suivi par Dans les oliviers, à Capri au Salon de 1879, la scène marocaine Fumée d’ambre gris à celui de 1880 (à laquelle il n’est pas interdit de préférer ses plus modestes vues d’architecture Bâtiments mauresques au soleil ou Entrée d’une mosquée), ou encore des aquarelles vénitiennes à celui de 1881.

John Singer Sargent Fumée d'ambre gris
John Singer Sargent (1856-1925), Fumée d’ambre gris, 1880. Huile sur toile, 139,1 x 90,6 cm. Williamstown (Massachusetts), Clark Art Institute.

Une démarche proche de l’impressionnisme

Le folklore local a la part belle dans ces tableaux « de voyage » qui révèlent un Sargent fasciné par la danse, notamment celle des gitans qu’il découvre en Andalousie et qui lui donne le thème de sa toile El Jaleo (non exposée), qui fait sensation au Salon de 1883. Ces scènes de genre, solaires ou nocturnes, sont pour lui à chaque fois l’occasion d’étudier un effet lumineux ou coloré précis, dans une démarche qu’il partage avec les impressionnistes. Le nom de Monet vient d’ailleurs aussitôt à l’esprit devant son Coucher de soleil sur l’Atlantique (1878), dont les tons comme le sujet et la composition évoquent immanquablement Impression, soleil levant.

John Singer Sargent En route pour la pêche
John Singer Sargent (1856-1925), En route pour la pêche, 1878. Huile sur toile, 78,7 x 122,9 cm. Washington, National Gallery of Art.

Le portraitiste du Tout-Paris

Mais ce sont bien les portraits de John Singer Sargent qui nous retiennent le plus aujourd’hui. Le genre lui permet d’ailleurs de se faire une place au Salon avec l’effigie de son amie d’enfance Frances Sherborne Ridley, qu’il présente en 1877, à seulement 21 ans – une courte vidéo, habilement dopée à l’IA, revient à mi-parcours sur l’importance fondamentale de ce rendez-vous annuel au palais des Champs-Élysées pour les artistes de l’époque. Sargent y envoie dès lors régulièrement un ou plusieurs portraits, qui lui assurent bien vite sa réputation auprès du Tout-Paris.

C’est après avoir vu celui de Carolus-Duran que le dramaturge en vogue Édouard Pailleron lui passe commande du sien en 1879. Si Sargent le représente moins en écrivain qu’en artiste, la pose et l’habit dénotant une nonchalance réfléchie, le tableau convainc pleinement le modèle. Pailleron lui confie donc le portrait de son épouse Marie, fille de l’influent directeur de la Revue des Deux Mondes, puis celui de leur fils et de leur fille, dont les regards sont si intenses qu’ils dérogent aux conventions du portrait d’enfants. Ces trois toiles, accrochées dans leur luxueux appartement du quai Malaquais, sont pour John Singer Sargent la meilleure publicité possible auprès de l’élite : le voilà définitivement lancé.

John Singer Sargent Portrait d'Édouard et Marie-Louise Pailleron
John Singer Sargent (1856-1925), Portrait d’Édouard et Marie-Louise Pailleron, 1880-1881. Huile sur toile, 152,4 x 175,3 cm. Des Moines Art Center Permanent Collections (Iowa).

Des portraits marquants

Immédiatement après, le consul du Chili Ramón Subercaseaux lui commande le portrait de sa femme. Le tableau qui la montre assise à son piano, dans une élégante robe blanche et noire, vaut à la Sud-Américaine de passer, aux yeux du public comme de la critique, pour l’incarnation même de la Parisienne et permet à son auteur de décrocher la deuxième médaille au Salon de 1881. Au même moment, le peintre représente le docteur Samuel Pozzi chez lui, c’est-à-dire en habit d’intérieur, dans une composition inhabituelle pour un modèle masculin car abolissant la frontière, alors jugée indispensable, entre l’espace privé et l’espace public. L’image donnée de ce pionnier de la gynécologie, célèbre dans tout Paris pour sa médecine mais aussi pour ses multiples conquêtes féminines, frappe autant par ses tons écarlates et cramoisis que par sa mise aristocratique qui emprunte à la tradition picturale illustrée par un Titien ou un Van Dyck.

John Singer Sargent Le Docteur Pozzi dans son intérieur
John Singer Sargent (1856-1925), Un portrait, dit aussi Le Docteur Pozzi dans son intérieur, 1881. Huile sur toile, 201,6 x 102,2 cm. Los Angeles, Hammer Museum.

Une « nature morte de filles »

Mais plus que ce tableau, plus encore que Madame X qui fit couler tant d’encre et que le Metropolitan Museum of Art de New York considère comme sa « Joconde américaine », le chef-d’œuvre de l’artiste nous paraît être Les Filles d’Edward Darley Boit (1882). Derrière ses atours mondains, la peinture de Sargent aime surprendre son monde, et ce monumental carré de deux mètres sur deux en apporte une preuve manifeste, mais tout en sourdine. Ici, point de tapage ou de couleurs coruscantes, mais l’atmosphère feutrée d’un grand appartement bourgeois de l’avenue de Friedland. Les quatre enfants d’Edward et Mary Louisa Boit, de très fortunés expatriés américains, posent dans un intérieur qui leur dispute le premier rôle. Inspirée par Les Ménines de Velázquez, la scène est en effet, ainsi qu’on a pu l’écrire, autant un « portrait de vases » japonais qu’une « nature morte de filles ». S’en dégagent un mystère et une étrangeté que la douceur des tons et leur harmonie ne font que renforcer.

John Singer Sargent Les Filles d'Edward Darley Boit
John Singer Sargent (1856-1925), Portraits d’enfants, dit aussi Les Filles d’Edward Darley Boit, 1882. Huile sur toile, 221,9 x 222,6 cm. Boston Museum of Fine Arts.

La Joconde américaine

John Singer Sargent Madame X
John Singer Sargent (1856-1925), Portrait de Mme ***, dit aussi Madame X, 1883-1884. Huile sur toile, 208,6 x 109,9 cm. New York, The Metropolitan Museum of Art.

L’autre toile majeure, on l’a dit, s’intitule Madame X, dont on peine aujourd’hui à imaginer qu’elle put tant choquer ses contemporains. L’un des mérites de l’exposition – et de son catalogue, qui entre dans le détail – est justement de nous apporter tous les éléments en sous-texte pour comprendre le scandale causé par l’œuvre au Salon de 1884. Son modèle, Virginie Gautreau, passait pour l’une des grandes beautés de la capitale. Quoique d’origine française par son père et ayant vécu la majeure partie de sa vie à Paris, elle continuait d’être perçue comme américaine pour être née et avoir grandi aux États-Unis.

Il se peut que des sentiments anti-créoles alimentèrent la polémique, provoquée toutefois par la seule représentation picturale. On trouva le portrait indécent. Indécent parce que hautain, cette femme ne daignant offrir que son profil altier ; indécent, surtout, parce que trop sensuel. Son « décolletage » donne l’impression que sa robe va tomber, écrit Joséphin Péladan, qui qualifie également le « blanc de perle » de son maquillage de « cadavérique et clownesque à la fois ». Et que dire de cette bretelle droite descendue sur l’épaule ? Ce détail suggestif fut d’ailleurs bien vite corrigé par Sargent, qui remonta sagement la chaînette d’argent. Meurtri par les critiques et les moqueries, l’artiste conserva le portrait dans son atelier jusqu’en 1916, date à laquelle il le céda au Metropolitan Museum of Art, l’estimant alors « la meilleure chose qu’[il] ai[t] jamais faite ».

Un peintre recherché

Bien d’autres portraits sont encore montrés, le réseau social de John Singer Sargent ne cessant de s’agrandir. Très en vue et recherché (il intègre le très sélect Cercle de l’Union artistique), installé désormais dans un luxueux atelier du boulevard Berthier, il fréquente aussi bien ses confrères Alfred Roll et Ernest Duez que Gabriel Fauré, dont il adore la musique, ou Auguste Rodin, dont il promouvra l’œuvre en Grande-Bretagne. Ses amis sont nombreux à le soutenir, tels le critique Louis de Foucaud ou la femme de lettres Judith Gautier, fille du célèbre poète, qu’il peint à plusieurs reprises, comme dans l’impressionniste Coup de vent (vers 1883-1885). Ce tableautin, brossé sur le motif en Bretagne, est un évident hommage à Claude Monet, avec lequel les liens se resserrent après son départ pour l’Angleterre.

John Singer Sargent Un coup de vent
John Singer Sargent (1856-1925), Un coup de vent (Judith Gautier), vers 1883-1885. Huile sur toile, 62,9 x 38,1 cm. Richmond, Virginia Museum of Fine Arts.

Départ pour Londres

Car malgré les commandes et les éloges, Sargent quitte Paris pour s’établir à Londres en 1886. Si le mauvais accueil réservé au portrait de Mme Gautreau joua sans doute un rôle dans cette décision, il ne doit pas être exagéré, puisque le peintre, depuis quelque temps, traversait souvent la Manche et avait su se constituer une solide clientèle britannique. Il n’oublie pas pour autant Paris et continue d’y présenter ses toiles. C’est ainsi qu’il triomphe à l’Exposition universelle de 1889, avant de remporter trois ans plus tard au Salon la « revanche éclatante » que lui promettaient ses partisans avec La Carmencita. Dans une somptueuse robe jaune, les mains campées sur les hanches, la danseuse espagnole Carmen Dauset Moreno pose fièrement, consciente de sa valeur… comme Sargent, probablement. La toile fut si unanimement louée que l’État l’acquit pour le compte du musée du Luxembourg. Une consécration pour un artiste alors âgé seulement de 36 ans…

John Singer Sargent La Carmencita
John Singer Sargent (1856-1925), La Carmencita [Carmen Dauset Moreno], vers 1890. Huile sur toile, 229 x 140 cm. Paris, musée d’Orsay.

« John Singer Sargent. Éblouir Paris », jusqu’au 11 janvier 2026 au musée d’Orsay, esplanade Valéry Giscard d’Estaing, 75007 Paris. Tél. 01 40 49 48 14. www.musee-orsay.fr

À lire : catalogue, coédition musée d’Orsay / Gallimard, 256 p., 45 €.
Dossiers de l’Art n° 331, 80 p., 11 €.

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