Éditions Faton - Expositions - Albert Maignan au musée de Picardie : retour en grâce d’un artiste cathédral
Albert Maignan au musée de Picardie : retour en grâce d’un artiste cathédral
Première rétrospective consacrée à Albert Maignan, figure majuscule de la Belle Époque, l’exposition du musée des Beaux-Arts d’Amiens célèbre son plus généreux donateur en même temps qu’un artiste et collectionneur hors pair, trop longtemps abandonné au purgatoire des « officiels ».
Albert Maignan (1845-1908), La Songeuse, vers 1902-1903. Huile sur toile, 63,5 x 81,5 cm. Amiens,
musée de Picardie.
Depuis la restauration tonitruante des Voix du tocsin (1888), qui avait débuté en 2016 grâce à la Fondation Taylor, on se doutait que l’artiste était bien plus qu’un décorateur mondain. Le retour de cet imposant chef-d’œuvre sur les cimaises du grand salon, après avoir été roulé pendant un siècle, n’était qu’un avant-goût de cette vaste rétrospective. Véritable procès en réhabilitation, qui mobilise 350 œuvres en guise de preuves, l’exposition nous présente un peintre inattendu, touche-à-tout, voire attachant.
Albert Maignan posant devant le carton de Jupiter et Sémélé, vers 1902. Amiens, musée de Picardie.
Un artiste curieux et fantaisiste
Tiré à quatre épingles sur les photographies officielles, peignant ses grandes machines encravaté jusqu’au menton, Albert Maignan apparaît enfin sous un autre jour, curieux de tout, parfois intimiste et volontiers fantaisiste. Dans son jardin de Saint-Prix, il pose à la Pierre Loti, costumé en pénitent, brandissant joyeusement une croix de procession du XIVe siècle – laquelle patiente désormais sagement dans sa vitrine. Fleuron des collections médiévales du musée, elle fait partie des innombrables objets légués par l’artiste en même temps que son fonds d’atelier.
Albert Maignan (1845-1908), Jupiter et Sémélé (esquisse aboutie), 1896. Plume et encre noire, aquarelle sur papier, 70 x 48,5 cm. Amiens, musée de Picardie.
Hommage au bienfaiteur
Sans forcément s’en douter, tous les visiteurs du musée d’Amiens connaissaient donc déjà le collectionneur avant de découvrir le peintre ! Il n’y a pas une étagère des salles antiques ou médiévales qui ne cache quelques trésors chinés par Maignan : ouchebtis turquoise, poteries gauloises, tissus coptes ou fibules mérovingiennes… matériau indispensable pour faire vivre l’histoire sous son pinceau.
Albert Maignan (1845-1908), Étude de nénuphar, juillet 1892. Huile sur toile, 46,2 x 37,9 cm. Amiens, musée de Picardie.
Souvenirs de voyages
Ce qui manquait à cet irrésistible capharnaüm, l’artiste le trouvait dans les musées comme dans les églises, au fil de ses nombreux voyages aux quatre coins de l’Europe, en Allemagne, en Italie, en Suisse, aux Pays-Bas. Il en a rapporté une myriade de petits panneaux peints sur le motif, comme le lui avaient enseigné ses maîtres Jules Noël et Eugène Isabey. Plusieurs dizaines d’entre eux, inédits pour la plupart, sortent des réserves pour raconter une mémoire visuelle, quantité d’instantanés aux cadrages libres, photographiques, qui s’attardent sur un détail aimé – ici un bénitier, là une porte – à la manière de nos stories Instagram, la matière et la lumière en plus.
Albert Maignan (1845-1908), Vue de la pointe de la Douane et de la Salute depuis la place Saint-Marc à Venise, 14 avril 1899. Huile sur bois, 28,6 x 20 cm. Amiens, musée de Picardie.
Albert Maignan, un artiste engagé ?
Lorsqu’il s’éloigne des ors de la République et des commandes décoratives, Maignan détonne sur la scène parisienne, par son engagement discret mais persistant, dans sa peinture, envers les plus démunis. La présence parmi ses œuvres importantes de la Journée finie (1903), une critique acerbe des conditions de travail de la classe ouvrière à l’ère industrielle, éclaire d’autres sujets : La fortune passe dénonce les méfaits des spéculateurs, Saint Louis console un lépreux.
Même les grandes compositions allégoriques ou religieuses, comme le Tocsin ou Le Christ [appelant]à lui les affligés, sont ancrées dans le réel, marqué au fer rouge par la défaite de 1870 : ce n’est pas un hasard si ces tableaux présentent tous deux, au premier plan, un drapeau tricolore : reflet de conceptions profondément patriotiques, indissociables chez Albert Maignan d’un certain idéal, hérité du catholicisme social.
Albert Maignan (1845-1908), La Journée finie (mines de la Loire), 1903. Huile sur toile, 165 x 249 cm. Angers, musée des Beaux-Arts.
Une « fraîcheur exquise »
Immersion dans l’atelier, l’exposition révèle aussi la variété déconcertante des styles et sujets auxquels Maignan est prêt à s’intéresser, de Saint Louis à Carmen, de Chlodobert à l’ouvrier stéphanois. Dans une veine éblouissante de fraîcheur, il se risque parfois à la lisière entre le kitsch le plus décomplexé et le symbolisme le plus sophistiqué.
Albert Maignan (1845-1908), L’Homme et la femme abandonnés de Dieu, 1884. Gouache sur papier marouflé sur carton. Amiens, musée de Picardie.
Outre une étude pour Adam et Eve1, bientôt chassés d’un enchanteur paradis vert pomme, on retiendra les merveilleuses esquisses préparatoires à l’un de ses grands tableaux disparus, La Naissance de la Perle. Cette aventure sous-marine, qui n’est pas sans rappeler Sadko d’Ilia Répine, encourage Maignan à contempler les profondeurs, depuis l’aquarium du Trocadéro. Fasciné par ces créatures mouvantes, méduses, algues, coraux, il parvient à les plonger dans « un bleu adorable, un bleu d’eau profonde », emprunté de son propre aveu à la glaçure d’une « petite statuette égyptienne en terre émaillée »2. Espérons que l’exposition, qui voyagera ensuite au Mans, pays natal, permettra de retrouver cette œuvre séduisante entre toutes !
Albert Maignan (1845-1908), La Naissance de la perle (esquisse ou réplique), vers 1890. Huile sur toile, 61 x 46 cm. Amiens, musée de Picardie.
Albert Maignan, peintre monumental
À la vue de l’exposition comme à la lecture du catalogue, il paraît bien difficile de faire le tour de cet artiste immense, qui en dépit de ses débuts ardus et de ses doutes constants, a forgé l’identité visuelle d’une époque : la IIIe République, et d’une capitale : Paris. Il est de tous les chantiers phares : l’hôtel de ville, la Salle Favart, le Buffet de la Gare de Lyon… Il se risque à tous les concours, s’essaie (avec succès) à l’illustration, à la tapisserie, au vitrail, et continue de regarder vers Tiepolo, Rubens et Michel-Ange même lorsqu’il peint dans le Palais de l’Industrie.
Albert Maignan (1845-1908), La Ville de Saint-Étienne présente à la France les produits de son industrie (esquisse), 1896. Huile sur toile, 88,5 x 33 cm. Amiens, musée de Picardie.
Un je-ne-sais-quoi d’inattendu
Malgré sa position centrale, acquise de haute lutte, il conserve une étonnante liberté, un je-ne-sais-quoi d’inattendu ou de décalé – qu’il s’agisse de représenter l’an mil ou l’an mille neuf cent. En 1874 son premier succès, Départ de la flotte normande pour la conquête de l’Angleterre, décrit plutôt ceux qui n’en sont pas. Cette attention sincère au sentiment, qui pousse Maignan à détourner son regard de l’action, est intacte en 1905 : l’Adagio appassionato montre plutôt ceux qui l’écoutent.
Albert Maignan (1845-1908), Départ de la flotte normande pour la conquête de l’Angleterre ; Dives, 1066, 1874. Huile sur toile, 81 x 115 cm. Paris, musée d’Orsay.
1L’Homme et la femme abandonnés de Dieu (1884). 2 Journal IV, 13 janvier 1889, f° 12.
Une exposition à poursuivre hors les murs
Exactement comme l’exposition consacrée à Jules Eugène Lenepveu1 (Angers, 2022) nous incitait à en sortir, non pour s’en échapper mais pour découvrir quantité d’œuvres méconnues, toujours visibles en des lieux que l’on fréquente parfois sans les regarder, la rétrospective d’Amiens donne très envie de retourner à Paris, de pousser les portes du Train Bleu ou de l’Opéra-Comique. La balade peut se poursuivre à Saint-Philippe-du-Roule, qui abrite un ensemble étonnant de vitraux signés Maignan ; dessinées dans un esprit très Sécession, les figures saintes, hiératiques, archaïsantes, éclairent encore la nef.
Plus discrète encore, la chapelle Notre-Dame de la Consolation, construite sur les cendres du Bazar de la Charité, abrite, elle aussi un grand décor de sa main, une coupole dont la restauration ne devrait plus tarder. Les plus téméraires pourront se faufiler au palais du Luxembourg, pour découvrir la série complète des Métamorphoses d’Ovidetissées d’après Maignan.
Et si tout cela ne vous suffit pas, il faudra songer à Saint-Étienne, où l’ancienne Chambre de Commerce conserve un décor complet, intact, superbement évoqué à Amiens grâce au prêt de somptueux cartons de tapisserie, accordé par le Mobilier national.
1 « Jules-Eugène Lenepveu (1819-1898), peintre du monumental » au musée des Beaux-Arts d’Angers, du 24 juin 2022 au 8 janvier 2023. musees.angers.fr
« Albert Maignan, un virtuose à la Belle Époque », jusqu’au 4 janvier 2026 au musée de Picardie, 2 rue Puvis de Chavannes, 80000 Amiens. Tél. 03 22 97 14 00. www.amiens.fr Catalogue, éditions Invenit, 400 p., 39 €.
L’exposition sera ensuite présentée au musée de Tessé au Mans, du 11 avril au 27 septembre 2026. www.lemans.fr
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