De l’Ibérie au Maroc
Ce magnifique livre bilingue (français/espagnol), édité par la Casa de Velázquez, a pour objectif d’explorer la formation et l’institutionnalisation de l’archéologie en péninsule Ibérique et au Maroc. Dans une perspective historiographique, il révèle comment la discipline s’est façonnée autour de coopérations scientifiques internationales inévitablement transcendées par les grands bouleversements de l’histoire du XXe siècle. Les recherches autour du site antique de Baelo Claudia, fouillé à partir de 1917 par Pierre Paris, y occupent ainsi une place de choix. Mais il est aussi question, entre autres, de revenir sur les enjeux nationaux liés aux collections muséales autour notamment de la « Dame d’Elche », au centre de négociations entre le régime de Vichy et le régime franquiste dans les années 1940. On ne peut que conseiller ce recueil d’articles passionnants qui illustre avec érudition la constitution d’une discipline scientifique indissociable des questions politiques et diplomatiques contemporaines. Agathe Desmars
Cent ans d’archéologie. De la rivalité à la coopération en péninsule Ibérique et au Maroc, 2025, Laurent Callegarin et Nicolas Morales (dir.), Madrid, Collections de la Casa de Velázquez, 306 p., 45 €.
Que sais-je du bronze ?
Après le réputé indépassable « Que sais-je ? » dédié au sujet, publié par Jacques Briard de 1959, voici (enfin !) une nouvelle publication sur l’Âge du bronze. Brossant à grands traits (et dans les 118 pages imposées par ce format iconique inventé en 1941) les principales tendances de la période, il dévoile un monde en mutation, perçu comme tel dès l’Antiquité et défini au Danemark au XIXe siècle (et non sans polémiques). On découvre ici l’invention de ce métal, ses « recettes », et surtout les conséquences de son usage – ou ce que cela implique de faire le choix du bronze, que ce soit en termes de voies de communication terrestres ou maritimes pour s’approvisionner en matières premières, de modifications des paysages (avec une déforestation massive), d’invention d’objets (dont les armes mais aussi les instruments de musique), ou de hiérarchisations sociales et de pouvoir. Essentiellement centré sur l’Europe, l’ouvrage propose aussi des incursions au Proche-Orient, en Égypte et dans les mondes indien, asiatique et amérindien. Parfait pour clôturer cette année archéologique 2025 placée sous le signe de ce métal doré. Éléonore Fournié
L’Âge du bronze, 2025, Anne Lehoërff, Paris, Humensis, collection Que-sais-je ?, 125 p., 10 €.
Regarder les animaux

On a beaucoup (trop ?) écrit sur l’art pariétal. Parfois de façon très révolutionnaire, occasionnant des polémiques historiques. Dans un ouvrage audacieux (mais bien construit et solidement argumenté), un jeune philosophe, maître de conférences à l’université Aix-Marseille-Méditerranée, s’attelle à la tache de revisiter l’art pariétal animal. Pour ce faire, il s’appuie sur son bon sens de traqueur de mammifères en milieu sauvage. Car les animaux ne posaient pas pendant des heures face à un artiste préhistorique muni de fusains, boulettes d’ocre, palette et chevalet ; au contraire, un regard furtif, très épisodique, presque brutal, était à l’origine de ces quelques traits gravés ou peints sur les parois. En conceptualisant cette vision-éclair (« regard jizz ») propre aux naturalistes des XXe et XXIe siècles, et en l’appliquant aux chasseurs du Paléolithique, Baptiste Morizot propose une hypothèse originale et pragmatique. Un joli pas de côté, et peut-être une bonne pioche ! On regrettera toutefois l’absence d’illustration qui aurait permis d’appuyer ce travail derrière lequel on sent le souffle ethnologique de Charles Stépanoff et Philippe Descola. Philippe Charlier
Le regard perdu. À l’origine de l’art pariétal animal, 2025, Baptiste Morizot, Paris/Arles, Actes Sud, 272 p., 23 €.
Les harkis oubliés

Depuis de nombreuses années, Patrice Georges-Zimmermann, archéologue à l’Inrap, utilise les techniques de l’archéologie en sciences forensiques, que ce soit dans la détection de tombes isolées ou de charniers, ou dans la fouille proprement dite et l’exploitation des traces. Dans ce livre qui se lit comme un roman, on suit les pas de ce spécialiste chevronné dans sa recherche des 70 sépultures de harkis parqués dans une totale indignité dans le camp de Saint-Maurice-l’Ardoise (Gard) entre 1962 et 1964, puis enterrés sommairement. Beaucoup n’étaient encore que des enfants… Détermination du site précis d’enfouissement par analyse d’images satellite et prospection au sol, fouille proprement dite, étude du matériel (principalement des marqueurs topographiques : stèles improvisées en pierre locale ou béton), tout est décrit. Jusqu’à l’absence des corps, très certainement récupérés puis transférés… et oubliés. À l’aide de nouvelles sources, Patrice Georges-Zimmermann parviendra-t-il à les retrouver sur un autre site ? On peut l’espérer. Ce livre, dont on recommande la lecture, montre bien l’apport de l’archéologie du passé récent dans notre devoir de mémoire. Philippe Charlier
L’homme qui faisait parler les tombes. L’incroyable enquête d’un archéologue dans un cimetière oublié, 2025, Patrice Georges-Zimmermann, Paris, Robert Laffont, 176 p., 19,90 €.
Sites romains

Rassemblant des parties d’ouvrages déjà publiés par la National Geographic Society en 2019, cette publication pourrait sembler être une énième parution sur les villes antiques. Certes ; mais l’approche par sites – Rome (trois chapitres chronologiques), Nimes, Ostie, la villa Hadriana, Cyrène, Paestum, Herculanum et bien sûr Pompéi – est séduisante. En effet clair, concis et relativement à la page des recherches scientifiques, le propos est remarquablement illustré par des vues contemporaines et des restitutions 3D légendées (dans une optique avant/après toujours très pédagogique) des monuments symboliques et chefs-d’œuvre de ces différents lieux. On prend beaucoup de plaisir à se promener le long des rues antiques et à (re-)découvrir ces témoignages, reflets du génie architectural romain, comme de la puissance de l’Empire. Grand public dans le bon sens du terme, ce livre sera utile à tous ceux qui cherchent un premier aperçu nous initiant à l’histoire de Rome. Éléonore Fournié
Sur les traces de l’Empire romain, compilation, préface d’Éric Teyssier, Grenoble, éditions Glénat, 367 p., 45 €.
Phénoménologie du théranthrope

Le philosophe Philippe Grosos continue à interroger le dialogue entre l’Homme et le monde animal. Quel plus beau sujet d’étude que les théranthropes, ces créatures imaginaires, mélange d’homme et de bête ? Et si elles nous accompagnent toujours, d’où viennent-elles ? De la Préhistoire ? Il semblerait que non : très peu sont connues en Europe et en Indonésie, et demeurent sujettes à discussion. Autre problème : leur « absence d’unité stylistique et leur inévidence thématique ». Au Néolithique, les théranthropes deviennent plus nombreux et variés : le succès de cette « hybridation fantasmée » ne s’est depuis plus jamais démenti. Pourquoi cette accélération ? On retrouve ici la grande théorie de Philippe Grosos, pour qui les hommes du Paléolithique envisageaient leur rapport au monde sur un mode « participatif » au « flux des vivants ». Celui-ci se transforme en mode « présentiel » au Néolithique, les humains se mettant en scène dans un rapport de domination du monde animal – qui s’appauvrit graphiquement. La signification des théranthropes se transforme aussi : les hommes commencent à se poser la question de leur origine et ne cessent d’interroger leur animalité et la manière dont (croient-ils) ils s’en sont éloignés. Romain Pigeaud-Leygnac
Mi-homme mi-bête, 2025, Philippe Grosos, Paris, éditions du Cerf, 246 p., 24 €.
Magistral Mandrin

À la grotte Mandrin sur la commune de Malataverne dans la Drôme, une fouille programmée est décidée à partir de 1990 à l’initiative de Jean Combier, alors directeur des antiquités. Pascale Yvorra et Ludovic Slimak rejoignent le projet en 1998 avant d’en prendre la responsabilité avec Yves Giraud et Laure Metz. Très attendus, les résultats des études menées ces 30 dernières années sont ici présentés. À plusieurs titres magistrale, cette monographie s’inscrit dans le temps long de la recherche, faite de multiplicité de collaborations qui contribuent à la compréhension cohérente de l’ensemble. Analyses et comptes-rendus d’expérimentation s’égrènent au fil des chapitres, soutenus par des graphiques pointus et des illustrations inédites. L’intérêt de la grotte Mandrin réside notamment dans sa chronologie du Paléolithique moyen et supérieur, confrontant cultures néandertaliennes et sapiens. Au-delà du matériel, les données recueillies font l’objet d’une réflexion plus générale en anthropologie culturelle. La découverte en 2015 d’un nouveau Néandertalien, Thorin, ajoute à la richesse du site, dont la finalisation de l’étude est estimée pour 2090 ! Pascale Binant
Mandrin. Des derniers Néandertaliens aux premiers Hommes modernes en France méditerranéenne, 2021 (impression), 2025 (mise en vente publique), Ludovic Slimak, Yves Giraud, Laure Metz, Pascale Yvorra (dir.), Aix-en‑Provence, MMSH, Artisanats & Territoires 3, 800 p., 180 €.
Le Grand Cyrus

« Roi des quatre coins du monde », Cyrus le Grand régna de 559 à 530 avant notre ère. Fondateur d’un des plus puissants États antiques, l’Empire achéménide, il étend son pouvoir depuis l’Iran actuel, de la Grèce à la vallée de l’Indus (soit sur 2 millions de kilomètres carrés à son apogée vers 500 avant notre ère). Idéalisé par les historiens (dont Xénophon) et les récits bibliques, ce souverain tolérant est serti d’une gigantesque auréole ; or, et c’est ce que montre cet ouvrage, le personnage demeure assez insaisissable, tant les documents le concernant sont rares ! Retraçant sa vie, de sa naissance à son accession au trône, en croisant les sources archéologiques et épigraphiques (dont le très important cylindre du British Museum), tout en écoutant silences et interprétations possibles, cette passionnante biographie remet en perspective non seulement l’histoire d’un homme mais aussi celle de ce VIe siècle avant notre ère et de cet empire, dont l’immense héritage a parcouru les oscillations du temps jusqu’à la dynastie iranienne des Pahlavi. Éléonore Fournié
Cyrus le Grand, 2025, Matt Waters, Paris, Passés/Composés, 283 p., 23 €.
À la table des Égyptiens

Que mangeait-on du temps de Toutankhamon ? Si le menu devait être bien différent entre la table du pharaon et celle d’un ouvrier, cet ouvrage de Pierre Tallet, actuel directeur de l’Institut français d’archéologie orientale au Caire, nous plonge dans la marmite égyptienne – et nous met l’eau à la bouche avec quelques menus fort alléchants ! S’appuyant sur les décors très explicites des mastabas (ces tombes égyptiennes architecturées souvent richement ornées), sur les papyrus (dont celui découvert en 2013) et sur les vestiges archéologiques (céramiques), ces pages illustrent à satiété l’agriculture, la chasse et en définitive des denrées essentielles de la vallée du Nil pendant près de trois millénaires. Abordant également la pratique du banquet, les conventions sociales et morales comme les offrandes pour l’au-delà, il offre un panorama extrêmement complet de l’alimentation antique. Pains et gâteaux, viandes et poissons, fruits et légumes, sucres et épices, boissons légères ou alcoolisées : un livre à tout point de vue rassasiant ! Éléonore Fournié
Cuisine et saveurs de l’Égypte ancienne, 2025, Pierre Tallet, Arles, Actes Sud, 188 p., 32 €.
Curieux Khazars

S’il est un peuple des steppes qui demeure dans l’ombre et pour lequel les polémiques et incertitudes persistent, c’est bien celui des Khazars ! Dans cette monographie, l’une des (très) rares sur le sujet, l’auteur, un spécialiste de la période, nous en offre un formidable aperçu. Trois siècles durant (du VIIe au XIe siècle), cette dynastie fonda, sur une vaste zone d’Europe orientale, un kaghanat, au carrefour des routes commerciales. Proposant une remarquable synthèse sur les aspects bien connus comme sur ceux encore problématiques (telle leur étonnante conversion au judaïsme, dont l’ampleur et les conséquences continuent d’interroger la recherche), ces pages abordent son histoire mouvementée, de sa naissance à sa structuration (une étrange monarchie bicéphale), en passant par son armée, son héritage et ses mythes. Un récit aussi intéressant que mésestimé pour lequel l’archéologie – comme les études linguistiques ou génétiques – a sans doute beaucoup à apporter pour éclaircir ces zones de clair-obscur. Éléonore Fournié
Les Khazars, VIIe-XIe siècles, 2025, Iaroslav Lebedynsky, Chamalières, Lemme edit, 197 p., 20 €.
Des animaux et nous

Passionnant, c’est le mot qui résume ce bel ouvrage. Racontant une histoire familière, un dialogue entre bêtes et humains débuté il y a des millénaires, il se déploie en un récit chronologique (de la Préhistoire à nos jours) au fil d’une approche originale et d’une centaine de récits éclairant les rapports entre l’humanité et les animaux. Au cœur de notre quotidien, ces derniers nous nourrissent, nous habillent, nous portent, nous protègent, nous inspirent, voire nous réconfortent… tant et si bien que nous ne pouvons plus vivre sans eux – alors que le contraire est souvent envisageable. Si les premiers chapitres intéresseront plus spécifiquement les amateurs d’archéologie et d’histoire antique, les suivants n’auront aucun mal à tous nous ravir. Des caméléons de Mlle Scudéry à la xénotransfusion, en passant par les chevaux de Ninive, la biche blanche de Sertorius ou les plus contemporains bisons américains et autres vaches « folles », une véritable arche de Noé prend vie grâce à une superbe iconographie. Passionnant certes, mais aussi alarmant : il est grand temps de prendre soin de nos millions d’amis… Éléonore Fournié
Animaux & Humains. Une histoire partagée de la Préhistoire au XXIe siècle, 2025, Clémentine Girault, Violette Pouillard, Pierre Serna et Margaux Spruyt, Paris, Textuel, 303 p., 45 €.
Lascaris en Orient

Parallèlement à une conquête meurtrière, la campagne d’Égypte menée par Bonaparte a apporté nombre de connaissances sur le pays, donnant naissance à l’égyptologie. Mais à côté d’éminents scientifiques, des hommes aux talents variés débarquent sur les bords du Nil. Théodore Lascaris est de ceux-là. Peintre, musicien, architecte, fuyant les armées révolutionnaires, il quitte Nice pour Malte où la flotte de Bonaparte le rattrape. Aventureux, Lascaris s’embarque vers le pays des pharaons, dont la culture le fascine. Il y épouse une femme libérée d’un harem, apprend l’arabe, la musique, se rapproche de la communauté copte. C’est sans compter la puissance anglaise et la société égyptienne qui ne croient pas dans la mission « libératrice » vantée par Bonaparte. Le fossé culturel et la violence guerrière forcent les armées françaises à plier bagage. Lascaris revient en Égypte. Trafiquant d’antiquités avec le consul Palmieri, il croise Lady Stanhope, la reine de Palmyre, ou le mystérieux Burckhardt, découvreur de Pétra. Dans ce récit savament mis en bandes dessinées, il continue vers l’Irak à la rencontre des tribus nomades comme un Lawrence d’Arabie en avance d’un siècle… Stéphane Dubreil
Orients perdus. L’Aventure de Théodore Lascaris. T. 1 : Nice, Malte, l’Égypte, 2025, dessin et scénario Jacques Ferrandez, Paris, éditions Daniel Maghen, 160 p., 23 €.







