Le département des Landes et la ville de Dax, sur la route de l’Espagne et du Portugal, se voient sollicités au début du XIXe siècle par les multiples campagnes militaires napoléoniennes. Les premiers passages de troupes s’opèrent à l’automne 1807 et s’intensifient en 1808. Bayonne ayant résisté, c’est sur Dax qu’une partie de l’armée anglaise marche en mars 1814 avant d’envahir les Landes où elle reste jusqu’en mai 1815.
Des campagnes meurtrières
Ces guerres provoquent inévitablement un flux important de blessés et de malades qu’il faut accueillir, entraînant l’émergence de véritables hôpitaux militaires. Dès le 5 août 1813, l’ancien couvent des Capucins est mis à disposition du commissaire de la guerre, puis réquisitionné entre février et mars 1823 pour l’évacuation de l’hôpital militaire de Bayonne. Ce lieu sert ainsi de caserne pour les troupes en temps de paix et d’hôpital temporaire pendant la guerre entre les années 1813 et 1823-1825.
Un ensemble de sépultures plurielles
À l’issue de la fouille, les plans révèlent un vaste espace dévolu aux inhumations en pleine terre, orientées selon un axe est-ouest. L’occupation est dense, avec au total 59 sépultures réparties sur au moins cinq rangées parallèles distantes d’environ un mètre. Chaque fosse livre les restes d’un à quatre sujets déposés successivement ou simultanément, portant ainsi l’effectif global à 102. Les données spatiales semblent indiquer une mise en place des sépultures avec une progression des inhumations vers le sud-ouest, liée à une possible augmentation de la mortalité. Dans un premier temps, certaines sépultures plurielles se caractérisent par un apport successif de défunts, comme en témoigne la présence de sédiment interstitiel entre les corps. Cela signifie que les fossoyeurs prévoient et anticipent la place pour les inhumations suivantes.
« Une sépulture plurielle accueille plusieurs dépôts d’inhumation, qui peuvent être successifs. Elle se distingue d’une sépulture multiple qui intègre la notion de simultanéité de ces dépôts. »

Une pression sanitaire grandissante
Dans un second temps, l’absence de ce sédiment interstitiel appuie une quasi-simultanéité des dépôts de cadavres, et donc vraisemblablement un accroissement du nombre quotidien de décès. De fait, les observations de terrain permettent de faire l’hypothèse d’une pression sanitaire grandissante : les fossoyeurs creusent des tombes plus larges, déposent de plus en plus de corps au sein d’une même fosse, et apportent de moins en moins de soin à ce dépôt. L’attitude des corps montre la précipitation des gestes qui accompagnent l’inhumation, avec des positions diverses et peu conventionnelles. Tous ces arguments convergent vers l’évolution d’une crise de mortalité dans le temps, perçue par l’organisation de l’aire funéraire.

Qui sont les personnes inhumées ?
La détermination de la composition de la population indique un recrutement particulièrement spécialisé, caractérisé par un profil paléo-démographique dit de type « militaire », autrement dit exclusivement composé de jeunes individus de sexe masculin. L’absence de traumatisme peri-mortem sur les vestiges squelettiques, ainsi que l’absence d’effets personnels ou d’armements associés aux défunts, excluent une crise de mortalité liée à des faits d’armes. La thèse en faveur d’une épidémie est donc privilégiée. Aucun signe de pathologie infectieuse n’est perceptible sur les ossements, mais des analyses récentes de paléobiochimie moléculaire mettent en évidence la présence du bacille de Bartonella quintana. Cette bactérie est responsable de la fièvre des tranchées et elle est bien connue pour les soldats de la Première Guerre mondiale au cours de laquelle (entre 1915 et 1918) elle infecta plus d’un million d’hommes. La maladie est rarement fatale mais, sans traitement, elle peut être responsable de graves infections, notamment du cœur, pouvant mettre la vie en péril. Cette étude fait écho aux récentes découvertes d’inhumations comme sur le site de Vilnius en Lituanie où plus de 3 000 soldats ont été analysés. Il apparaît ainsi que, dans ces contextes militaires, les épidémies, mais aussi le froid et l’épuisement, ont fait autant si ce n’est plus de victimes que la guerre et ses faits d’armes.
Par Coralie Demangeot, archéo-anthropologue, Hadès et Natacha Sauvaitre, responsable d’opération, Hadès
Pour aller plus loin
DEMANGEOT C., SAUVAITRE N., PERESSINOTTO D., « Des soldats napoléoniens morts à l’hôpital ? La fouille du cimetière des Capucins à Dax (Landes) », dans
BARIL Q., AUBRY T., GORGUES A. (dir.), Premières rencontres autour des conflits contemporains en Nouvelle‑Aquitaine, actes de Bordeaux, 6-7 octobre 2022, Association française de recherche en archéologie contemporaine, coll. Revue d’archéologie contemporain (HS n° 1), p. 117‑131.










