Avant de peindre Les Sabines, Jacques-Louis David avait pensé à Homère récitant ses vers aux Grecs puis à Léonidas aux Thermopyles, sujet qu’il entreprendra juste après. Ses carnets de croquis témoignent de ces hésitations. Deux dessins préparatoires d’ensemble marquent ensuite des étapes dans la construction du tableau définitif, documentant pour l’un la disposition des groupes, avec costumes et décor, pour l’autre le fait que les guerriers combattent habillés, alors qu’ils seront nus dans le tableau.
L’antique et le présent
Pour l’iconographie des Sabines, David a pu utiliser des sources anciennes, en particulier du XVIIe siècle, et contemporaines, comme un tableau de 1781 de François André Vincent ou, plus originales, une gravure au trait d’après un dessin de John Flaxman et une caricature de James Gillray.
Des détails peuvent aussi évoquer l’actualité, telles les fortifications du Capitole renvoyant à la Bastille. C’est en effet l’un des aspects les plus originaux de l’œuvre que son inscription dans l’histoire que les Français venaient de vivre et dont David avait été lui-même un éminent protagoniste.
C’est par ailleurs la première fois qu’il représente une foule, au combat qui plus est ; trois acteurs principaux, sur le devant de la scène, synthétisent les groupes en action déployés en frise à l’arrière-plan, ce qui rappelle immédiatement les grandes journées révolutionnaires. Les contemporains y verront clairement un appel à la réconciliation nationale après thermidor.

Un jalon dans l’œuvre de Jacques-Louis David
Par rapport à sa manière d’avant 1789, David accentue l’aspect « idéal » de la composition et des figures, suivant en cela les réflexions de Winckelmann, tandis que l’influence de l’antique s’oriente vers les peintures de vases et l’hellénisme, se détournant des statues romaines : David veut désormais faire « grec ». Chose inhabituelle, le peintre ne présente pas le tableau au Salon, mais dans son atelier au Louvre, exposition payante qui durera d’ailleurs plusieurs années, jusqu’au départ de tous les artistes qui résidaient au palais. Un miroir permettait au visiteur de se voir au milieu de la scène. David s’en est expliqué dans la brochure de l’exposition, défendant aussi son choix du nu, critiqué au nom de la vérité ou de la vraisemblance historique.

La postérité des Sabines
La popularité de ce tableau ne fait aucun doute ; il est devenu un poncif iconographique qui a nourri les arts décoratifs comme la caricature. Très tôt on en a tiré des modèles de dessin, ajoutant à sa réputation dans les milieux académiques. La tête d’Hersilie (pour laquelle David fit d’ailleurs poser une aristocrate royaliste qui avait échappé à la guillotine) fut naguère choisie pour représenter Marianne sur le timbre courant, comme plus tard la tête de la Liberté guidant le peuple de Delacroix.
« Jacques-Louis David » du 15 octobre 2025 au 26 janvier 2026 au musée du Louvre, rue de Rivoli, 75001 Paris. Tél. 01 40 20 53 17, www.louvre.fr
À lire : catalogue sous la direction de Sébastien Allard, coéd. musée du Louvre/Hazan, 360 p., 140 ill., 49 €
Dossiers de l’Art n° 332, éditions Faton, 80 p., 11 €.










