En 2021, Diego et moi (1949) avait établi un précédent record pour la peintre mexicaine, également chez Sotheby’s, avec 34,88 millions de dollars. L’enchère la plus haute pour une artiste femme revenait, depuis 2014, à Georgia O’Keeffe pour Jimson Weed / White Flower No.1 (1932), adjugé 44,4 millions de dollars. Jeudi 20 novembre, il n’a fallu qu’une poignée de minutes pour que ces records soient battus, dans la fourchette de l’estimation : 54,66 millions de dollars (frais inclus), soit un peu plus de 47 millions d’euros, pour Le Rêve (La Chambre).
« Je me peins moi-même parce que je suis si souvent seule et que je suis le sujet que je connais le mieux. »
Frida Kahlo
Le spectre familier de la mort
Durement touchée par la maladie et les suites d’un grave accident, Frida Kahlo passa de longs mois alitée, à différentes périodes de sa vie, avec pour seul motif son propre visage. Elle a ainsi peint cinquante-six autoportraits qui révèlent ses pensées, ses moments les plus douloureux et sa relation passionnée mais difficile avec le peintre Diego Rivera. Le Rêve (La Chambre) appartient à la longue série des œuvres où l’artiste représente, mêlant symbolisme, traditions mexicaines et surréalisme, sa familiarité avec l’idée de la mort.

Un rêve ancré dans la réalité
Bien qu’intitulée Le Rêve, l’œuvre est enracinée dans la vie de l’artiste. Enveloppée dans des lianes qui forment à la fois un cocon et une emprise, Frida Kahlo s’est représentée dans le lit reconnaissable sur les photos de sa chambre. Le squelette allongé qui le surmonte, créant un puissant parallèle entre le sommeil et la mort, est lui aussi bien réel. Il s’inspire d’une figurine de la collection d’objets mexicains d’art populaire de Frida et Diego, ici parée d’un bouquet de fleurs évoquant la fête traditionnelle du jour des Morts. « Je n’ai jamais peint de rêves, mais ma propre réalité », affirmait l’artiste.

« Sur un ciel laiteux aux nuances de bleu, de lavande et de gris, la composition défie toute logique spatiale : la structure du lit devient à la fois support physique et échafaudage métaphysique, une scène où la mort plane, littéralement, au-dessus de la vie. Le Rêve (La Chambre) offre assurément une méditation spectrale sur la frontière poreuse entre le sommeil et la mort. »
Anna di Stasi, directrice du département d’art latino-américain chez Sotheby’s
Échos surréalistes
Lors de son séjour à Paris en 1938, Frida Kahlo a rencontré les surréalistes, tel André Breton, mais ne les pas admirés, jugeant durement leurs « bavardages stupides ». L’arrière-plan du Rêve fait écho aux tableaux surréalistes, le lit semblant en lévitation dans un ciel nuageux. Bien qu’elle ait multiplié les autoportraits, ce n’est jamais à travers son visage, toujours inexpressif, que l’artiste a exprimé ses émotions, mais par la représentation de son corps éprouvé ou de la figuration symbolique de ses pensées, comme dans Diego et moi, précédent record aux enchères de l’artiste mexicaine. Le Rêve (La Chambre) fait partie de ces œuvres où s’entremêlent habilement et inextricablement la dure réalité vécue par Frida Kahlo et sa mise en scène, nourrie des traditions mexicaines.











